Sylvie Duchateau : 25 ans d’engagement pour un numérique vraiment accessible

Journal de l'accessibilité

6 minutes de lecture passionnante !

Publié le 27 août 2025 par Mélanie Coltel

Interview Accessibilité réalisée par Warren Walter : Sylvie Duchateau, Experte en accessibilité numérique chez Sylduch Conseil.

Experte en accessibilité et aveugle de naissance, Sylvie agit au quotidien pour un numérique accessible à toutes et à tous. Dans cet entretien, elle raconte les barrières qu’elle affronte encore chaque jour, son parcours d’experte concernée, et les gestes qui peuvent tout changer.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Sylvie Duchateau, et je suis consultante et formatrice en accessibilité numérique depuis plus de 25 ans. Aveugle de naissance, je suis personnellement concernée par ces enjeux puisque je rencontre tous les jours des difficultés d’accessibilité. 

Concernant mon parcours, j’ai travaillé au sein de l’association BrailleNet, puis pendant 10 ans chez Access42, où j’ai pu former et sensibiliser à l’accessibilité numérique. J’ai également participé à la traduction française officielle des WCAG (Web Content Accessibility Guidelines) : WCAG 2.0 et WCAG 2.1.

Aujourd’hui, je suis à mon compte avec Sylduch Conseil, où j’accompagne entreprises et professionnels : je propose des sensibilisations à l’accessibilité numérique, je forme à l’utilisation des lecteurs d’écran de bureau et mobiles, et je réalise des tests utilisateurs de sites et applications.

Pourquoi et comment vous êtes-vous engagée dans l’accessibilité numérique ?

C’est arrivé un peu par hasard, en cherchant du travail à Berlin, après des études d’anglais et d’allemand, puis de sciences politiques. On me refusait beaucoup de postes à cause de mon handicap. J’ai fini par entrer dans l’association BrailleNet, d’abord grâce à mes compétences en langues, puis j’ai tout appris sur le tas : le HTML, Internet, les lecteurs d’écran… Progressivement, j’ai appris à comprendre les standards internationaux, puis j’ai participé à un groupe de travail du W3C (World Wide Web Consortium), le groupe Education and Outreach Working Group (EOWG), pour rédiger des documents de sensibilisation à l’accessibilité numérique.

Au fur et à mesure, mon propre handicap m’a amenée à devenir professionnelle de l’accessibilité numérique pour pouvoir aider les personnes concernées, mais aussi pour tenter de faire changer les choses auprès des acteurs du numérique.

Une expérience ou initiative marquante de votre parcours à nous partager ?

J’ai beaucoup aimé l’expérience de coordination de la traduction officielle des WCAG en français. À vrai dire, j’ai vécu deux expériences totalement différentes sur ce même sujet : celle de 2008 et celle de 2021. 

En 2008, on a tout fait à la main sur un wiki “maison”. On échangeait avec des experts du Québec, de Belgique, du Luxembourg, de Suisse… et il y avait de vrais débats sur les mots à choisir pour retranscrire au mieux les textes. Rien que la traduction du terme anglais « assistive technologies » a généré des heures de discussion très enrichissantes !

Puis en 2021, avec Access42, c’était plus collaboratif et plus structuré via GitLab, mais tout aussi enrichissant. Ce travail permet aujourd’hui d’avoir une version française officielle du standard international des règles pour l’accessibilité des contenus web, et j’ai adoré y participer !

Quels obstacles rencontrez-vous encore aujourd’hui dans l’usage du numérique ?

Il y en a beaucoup ! Et même pour une experte, c’est fatigant d’avoir à contourner chaque obstacle. Alors un utilisateur moins habitué à ces difficultés abandonnera encore plus vite

Voici quelques exemples concrets que je rencontre régulièrement :

Mais il y en a aussi d’autres, comme :

Y a-t-il des services essentiels particulièrement inaccessibles, même en 2025 ?

Oui, les impôts en ligne posent beaucoup de difficultés : entre les captchas et l’authentification à double facteur qui n’est pas faisable au clavier, il faut se faire aider par une personne voyante. Les banques aussi, avec leurs claviers virtuels qui changent à chaque connexion. Et plus généralement, je dirais, tout ce qui exige un formulaire papier en cas d’erreur (pour corriger une démarche) n’est pas accessible pour les personnes aveugles.

Quelles sont les erreurs les plus courantes que vous devez expliquer ?

J’explique surtout les problèmes de : 

Comment réagissent les professionnels du numérique quand vous les sensibilisez à l’accessibilité ?

Souvent, ils sont impressionnés : « vous arrivez à faire tout ça, c’est bluffant ». Quand ils me voient galérer face à des contenus inaccessibles en live, ça frappe beaucoup plus que des explications et des recommandations. C’est pour cela que l’intervention directe de personnes concernées a beaucoup plus d’impact que de simples mises en situation (type simulation, par exemple). On ne peut jamais vraiment se mettre à la place d’une personne en situation de handicap, mais voir l’expérience réelle en direct, ça marque.

Comment adaptez-vous votre pédagogie selon les publics : développeurs, designers, communicants, etc. ?

J’essaie d’être la plus généraliste possible ! Je vulgarise au maximum et j’évite le jargon technique, sauf si on me le demande. Je vérifie toujours la compréhension en interagissant avec le public : je pose des questions, et je m’adapte selon l’audience. Si le public est technique, j’entre dans le détail, sinon je reste sur des exemples concrets et des bases larges, compréhensibles par tout le monde.

Comment favoriser la co-construction avec les personnes en situation de handicap ?

Il faut intégrer plus de personnes en situation de handicap dans les tests, et prévoir un vrai budget pour ça. Il faut aussi que les contenus à tester soient un minimum accessibles, sinon c’est inutile et décourageant. Mon rôle est parfois d’être en support lors de tests, pour aider à configurer un lecteur d’écran ou accompagner l’utilisateur si besoin.

L’idéal est de faire tester les contenus par des personnes concernées, et ce dès le début. Trop d’entreprises demandent un test en urgence à la fin du projet, quand il est trop tard pour corriger proprement…

Les textes réglementaires et les référentiels sont-ils bien compris et appliqués ? Que faudrait-il améliorer ?

Ils sont rarement compris et appliqués correctement. Ce qui manque, c’est la formation à tous les niveaux : initiale, continue, dans les écoles, et tout au long de la chaîne de production (développement, design, communication…). L’accessibilité devrait être un pilier, au même titre que la sécurité ou la protection des données. Même un site accessible à la création peut devenir inaccessible si l’équipe de contribution n’est pas formée (ajout d’image sans alternative, etc.).

La formation permet de gagner du temps, d’éviter les refontes coûteuses et les incompréhensions : ce n’est pas un surcoût mais un investissement !

Que pensez-vous de l’utilisation de l’IA dans une démarche d’accessibilité ?

L’IA peut être une aide ponctuelle, mais elle est loin de tout faire. Par exemple, les descriptions d’images générées automatiquement par mon téléphone sont parfois absurdes ! Les outils IA pour l’audit ou la correction ne remplaceront jamais une validation humaine, surtout pour les contenus à forte valeur informative. Il faut donc voir l’IA comme un logiciel : elle peut aider, mais il faut rester vigilant et critique. C’est à l’humain de garder la main, d’autant plus quand il s’agit d’accessibilité. Il m’arrive de m’en servir pour gagner du temps, mais je reprends toujours la main à la fin !

Quel conseil donneriez-vous à un professionnel qui hésiterait à intégrer l’accessibilité numérique dans son projet ?

Il ne faut pas hésiter ! C’est la loi, et le nombre d’acteurs concernés s’élargit chaque année. C’est un enjeu d’égalité des chances et de droits fondamentaux pour tous, car l’accessibilité peut concerner tout le monde, même de façon temporaire (accident, vieillissement…). Commencer tôt permet d’économiser du temps et de l’argent : une fois formé, c’est aussi naturel que de corriger une faute d’orthographe. L’accessibilité doit être pensée comme une aide universelle !


Pour aller plus loin…

Si vous souhaitez mettre en place des actions pour favoriser l’inclusion et l’accessibilité numérique, mais que vous ne savez pas par où commencer, demandez conseil à nos experts accessibilité via l’adresse mail contact@warren-walter.com. 💡

Et pour plus d’informations sur nos prestations en accessibilité, on vous donne rendez-vous sur notre page dédiée à l’Accessibilité Numérique. 🧐